L’ordre des priorités

J’ai reçu un email de la part de la structure dans laquelle je travaille indiquant que celle-ci « suspend toute activité sur le réseau X ». Notez bien la subtilité sémantique : « suspend toute activité », ça ne veut pas dire « supprime son compte ». Ça veut dire qu’elle conserve un compte qui restera inactif. Bon, ils ont peut-être peur que des gens plus ou moins bien intentionnés trollent un compte sous leur identité. Je peux comprendre.

Les justifications données sont la « profonde évolution éditoriale du réseau X », son « choix de se retirer du code européen des bonnes pratiques contre la désinformation » et sa « [modification] des règles de modération ». Ben oui, c’est bien connu que X-anciennement-Twitter était un exemple de déontologie avant d’être racheté par un milliardaire mégalo…

La fin du message précise qu’il est possible de continuer à les suivre sur Instagram, LinkedIn et Facebook. Pour ces trois là, aucun problème.

À ce stade, une petite remise en perspective : à ce jour, si vous essayez de vous connecter à Sci-hub ou The pirate bay via le réseau internet de l’institution en question, vous serez redirigés vers une page vous informant que le site auquel vous essayez d’accéder est bloqué, car illégal ou immoral. Rien que ça.

Alors nous sommes d’accord : libre à chacun de publier sur le média qu’il choisit et de configurer sa connexion internet comme il l’entend. Tout comme Élon Musk est libre de choisir la ligne éditoriale de son site web. Simplement, ne faites pas semblant de tomber de nues lorsque vous vous faites insulter par une armée de bots : après tout, si vous ne supportez pas de lire des propos antisémites, ce serait peu judicieux de choisir Mein Kampf comme bouquin de chevet. Non ?

Donc si une institution refuse de publier sur X-anciennement-Twitter au motif que le site appartient à un ultraconservateur raciste et homophobe, libre à eux. C’est pas moi qui vais le leur reprocher.

Par contre, si ladite institution considère qu’il faut bloquer Sci-hub et The pirate bay au motif que ces sites sont illégaux ou immoraux, pourquoi être resté sur Twitter pendant toutes ces années et pourquoi inciter les gens à les suivre sur d’autres plateformes publicitaires ? Parce que si on regarde du côté de X-anciennement-Twitter, Facebook & Instagram (qui appartiennent à Meta) et Linkedin (Microsoft), les activités de toutes ces entreprises sont illégales en France. Aucune d’entre elles ne respecte les lois sur le secret des correspondances. Aucune ne respecte le RGPD. Et les amendes se succèdent, sans que ces sites web ne fassent mine de se mettre en conformité.¹

Dis autrement, si je résume la hiérarchie morale que la structure en question affiche :

• Mettre l’intégralité de la population sous surveillance dans le but avoué de faire du profilage publicitaire, et stockant les données dans un pays connu pour ses pratiques d’espionnage industriel et de fichage arbitraire des populations, est tout à fait acceptable.
• Diffuser des idées d’extrême-droite et de fausses informations sur son site web mérite un pseudo-boycott à moitié assumé.
• Rendre accessible du contenu culturel ou scientifique dont les droits sont détenus par des entreprises multimillionnaires, là par contre, ça vaut bien un blocage en règle.

Alors je m’excuse de vous demander pardon, mais je crois qu’on ne partage pas les mêmes valeurs…