Savoir se tenir sur le net

L’Internet a permis à tout le monde de donner son avis sur tout. L’avantage, contrairement à la télé, c’est qu’avec un bon filtrage, on peut y trouver des gens honnêtes et qui connaissent un minimum le sujet dont ils parlent. L’inconvénient, c’est qu’il y a plutôt intérêt à savoir filtrer efficacement. Et ce filtrage sera d’autant plus efficace qu’il est collectif.

Le problème, c’est qu’il semble que la majorité des gens ne comprennent pas que le concept de ratio signal/bruit s’applique très bien à internet. Si vous ne voulez pas vous retrouver dans le rôle de l’idiot utile, permettez-moi de vous livrer quelques réflexions personnelles.

La Nétiquette a été une première tentative pour maintenir des échanges à peu près cordiaux dans le brouhaha des premiers forums et commentaires de blog d’Internet. Elle a cependant oublié de prendre en compte un détail important : sur Internet, comme dans la vraie vie, les échanges cordiaux, voire les échanges tout court, ne sont pas toujours la réaction la plus adaptée.

Prolongeons l’idée de base de la nétiquette de calquer sur la vie de tous les jours les relations sociales que nous avons sur Internet. Vous avez sûrement appris dès votre plus jeune âge à ne pas parler aux gens bizarres dans la rue. Pourquoi le faites-vous sur le net ? Quand quelqu’un rentre dans le bar et interrompt tout le monde en gueulant que les universités sont gangrénées par l’islamo-gauchisme ou que des antisémites dessinent des tags en soutien à Israël, est-ce que vous lui répondez cordialement que vous avez fait toutes vos études à l’Université, et que vous n’y avez jamais vu un seul islamiste ? Ou est-ce que vous lui dites un truc du genre : « Ta gueule Roger. Qu’est-ce que t’es con quand t’es bourré ! » ? Quand on vous téléphone un samedi matin à 8h pour vous vendre un forfait internet de 200 Go, alors que vous en dépensez 10 les gros mois, est-ce que vous prenez le temps d’expliquer que votre forfait actuel est moins cher, ou est-ce vous raccrochez au nez de l’opérateur ?

Ne réagissez pas à chaud !

Le premier truc qu’il faut comprendre, c’est que sur le net, essayer de descendre une idée ou un message en postant un commentaire négatif est généralement ce que vous pouvez faire de mieux pour soutenir celui ou celle qui l’a posté. Ce qui fait qu’un message va être partagé, récupéré par les médias, remonté par les algorithmes de tri, etc., c’est le nombre de commentaires. Pas leur position vis-à-vis du message. Si vous répondez, même négativement, vous rendez le message original visible à tous vos contacts, augmentez son rank dans les moteurs de recherches et participez ainsi à sa diffusion.

Notamment, certaines entités — personnalités politiques, entreprises, groupuscules idéologiques — se sont fait une spécialité de faire leur publicité en provoquant le bad buzz. Ils font exprès de tenir des propos polémiques pour faire parler d’eux et diffuser leurs idées (ou celles de leurs clients). Et ça marche vraiment bien. En vous indignant, vous jouez en fait à leur jeu.

Donc reprenons. Vous avez vu quelque chose d’absolument inacceptable. Vous êtes sûr de vos arguments. Vous commencez à rédiger…

STOP !!!

Vous effacez tout. Vous terminez d’abord ce que vous étiez en train de faire avant de commencer à répondre. Une fois que c’est fait, vous vous posez les bonnes questions :

• Est-ce que vous avez du temps à perdre pour ce genre de chose ? Si la réponse est non, vous pouvez vous arrêter là.
• Est-ce que l’information est fiable ? Si non : se renseigner. Si toujours non : signaler, bloquer, fin de l’histoire.
• Est-ce que l’entité à l’origine de l’information a intérêt à provoquer l’indignation ? Si oui : signaler, bloquer, fin.
• Est-ce qu’il y a déjà des commentaires ? Si vos arguments en béton sont noyés dans la masse, personne ne les verra. Par contre, tout le monde verra le post original.
• Qui essayez-vous de convaincre ? L’auteur de l’information ? La personne qui vous l’a partagée ? Dans ces deux cas, un message privé suffira. À moins d’espérer que d’autres personnes n’amènent une contribution pertinente, un commentaire public n’a généralement pas d’intérêt.
• Avez-vous une chance de convaincre le destinataire de votre message ? Si non, pourquoi perdre votre temps ?

Ne répondez pas si vous ne savez pas qui est votre interlocuteur.

Il existe des entreprises que se font payer pour poster des commentaires bidon avec des faux comptes (enfin, de vrais comptes de fausses personnes pour être exact). Ces entreprises possèdent des armées de milliers de faux internautes qui travaillent à temps plein à répondre des conneries à chaque commentaire intelligent que vous posterez. Loi de Brandolini oblige, vous ne ferez pas le poids. Et les choses vont empirer dans les mois et les années qui viennent avec l’arrivée des grands modèles de langage, qui seront à coup sûr utilisés massivement — si ce n’est pas déjà le cas — par les fermes à trolls pour automatiser la tâche. Ça serait dommage de se prendre le chou pendant des heures avec un bot, non ?

Par exemple, rien de plus facile pour un groupuscule d’extrême-droite que de créer un ensemble de faux comptes et de se mettre tous en semble à traiter de facho une personnalité ayant posé devant un drapeau français ou fait allusion à un phénomène de banlieue. C’est redoutable : ils profitent de la visibilité de la personnalité en question, ils peuvent espérer une très forte réactance de sa part et donc tenter de la rallier à leur cause, ils font passer leurs opposants pour des intolérants et se donnent le beau rôle. Et s’ils ont de la chance, ils peuvent transformer en une vraie controverse un débat à l’origine créé de toute pièce.

Quand je dis « savoir qui est votre interlocuteur », je ne veux pas forcément dire « le connaître personnellement dans la vvv ». Vous pouvez écrire à un blogueur, un vidéaste ou répondre sur un forum. Mais il faut avoir de bonnes raisons de penser :

• que la personne existe ;
• que la personne agit pour elle-même et pas pour un tiers ;
• que la personne communique réellement ses idées et n’est pas en train de troller.

Si un seul de ces critères n’est pas rempli, abstenez-vous.

Ne répondez pas aux messages d’insulte.

Signalez. Bloquez. Passez à autre chose.

Ne postez jamais dans un shit storms !

Vous connaissez le proverbe : « Qui pisse face au vent »… Bref, ne vous abaissez pas au niveau de la masse, vous valez mieux que ça.

Utilisez une messagerie privée pour les messages privés

Parce que vos amis n’ont rien à branler de savoir que vous allez faire du shopping avec votre mère ou que vous allez à la plage avec votre pote, épargnez leur ce genre de banalité.

Ne partagez pas vos listes de contacts.

Les plateformes publicitaires (ce que vous appelez réseaux sociaux), en particulier, ont tendance à vous demander systématiquement de synchroniser vos listes de contacts, soi-disant pour vous aider à les retrouver sur ledit réseau.

Ne le faites pas. Jamais !

Vos contacts n’ont pas consenti à ce que ce type de données soient partagées sur internet avec des annonceurs et des data brokers ni qui que ce soit d’autre. Nombre d’entre eux n’ont jamais accepté les conditions d’utilisation de la plateforme.

Ne diffusez pas les photos ou vidéos de vos proches sans leur autorisation :

Même problème. Avec en plus le fait que vos proches n’ont pas de contrôle sur vos paramètres de confidentialité. Si vous voulez diffuser votre sextape, ça vous regarde. Mais les documents des autres, c’est à eux de décider. Ça vaut aussi pour les photos de vos gosses. Si vous voulez les montrer à vos potes et votre famille, invitez-les à prendre un thé. Et s’ils sont loin, mettez les photos dans un 7z chiffré et envoyez l’archive par email.

Sur internet, le respect ne consiste pas uniquement à écrire « bonjour » au début d’un message !

Si votre ami a un comportement ou fait une demande inhabituelle, contactez le par un autre moyen

L’arnaque commence à être connue (quoi que pas assez apparemment) : vous recevez un message privé d’un ami qui vous dit qu’il est dans la merde, il s’est fait tirer son portefeuille et il a besoin que vous lui fassiez parvenir une carte prépayée ou un truc dans le genre. Bon, il s’est juste fait pirater son compte. Coup de fil pour le prévenir de changer sa phrase de passe et d’envoyer un message à tous les contacts pour leur dire de ne pas envoyer d’argent.

Une chose cependant a changé : aujourd’hui les IA sont capables d’imiter une voix à la perfection à partir d’un petit échantillon de la voix originale. Cela signifie que si un attaquant parvient à voler et déverrouiller un téléphone, il lui est désormais possible d’utiliser une vidéo ou un enregistrement présent sur le téléphone, ou sur un réseau social quelconque, pour modifier sa propre voix en temps réel. Il peut donc appeler n’importe quel contact en se faisant passer pour le propriétaire du téléphone, et ce sera indétectable. Il va donc falloir s’adapter¹.

D’abord le préventif :

N’oubliez pas que si vous vous faites pirater, ce sont vos proches qui risquent de se faire arnaquer. Encore une fois, en vous protégeant, vous protégez les autres.

Donc :

• Évitez de conserver des échantillons de vos voix ou de celles de vos contacts sur votre téléphone ou votre ordinateur.
• Pensez à chiffrer votre téléphone et votre ordinateur.
• Éviter de publier des échantillons de vos voix ou de celle de vos contacts sur internet. Dans le cas de vos contacts, encore une fois, vous devez leur demandez avant.
• Vérifier vos paramètres de confidentialité : seuls vos contacts de premier niveau doivent être en mesure de voir vos publications. Si vous avez besoin d’un compte public (vous êtes chanteur ou chef d’entreprise et vous avez besoin de faire votre promo par exemple), utilisez deux comptes séparés. Un pour vos amis, un pour votre publique.
• N’acceptez pas les inconnus comme contact.
• Utilisez des pseudonymes pour vos comptes en ligne.
• Utilisez une messagerie privée pour les messages privés (oui je me répète).

Ensuite le correctif :

En général, pour quiconque est un peu averti, l’arnaque est évidente. Il suffit de recontacter la personne par un autre moyen pour la prévenir. Mais attention, si un attaquant a volé son téléphone portable et vous téléphone directement, rien ne sert d’envoyer un message sur WhatsApp. L’attaquant sera probablement aussi en mesure d’y répondre. Envoyez un message sur une boite email dont vous pouvez espérer qu’elle n’est pas synchronisé sur son téléphone. Téléphonez sur le portable de son conjoint. Demandez-lui ou elle est et passez la voir directement. Renseignez-vous auprès de ses proches pour savoir si l’histoire est crédible. Bref, réfléchissez.

N’utilisez jamais le bouton « partager ».

Non pas que la pratique soit mauvaise en elle-même. Mais la rapidité de l’opération (1 clic !) fait qu’on a tendance à effectuer mécaniquement cette opération qui nécessiterait en vérité une mûre réflexion.

J’exagère ? Un seul exemple :

Il y a quelques années, j’étais encore sur Facebook. Et je regardais avec un désespoir mêlé de condescendance mes propres amis repartager les uns après les autres des images avec un texte écrit dessus : « Tag un ami dont le prénom commence par c. S’il ne partage pas dans les 5 min, il te doit un McDo ».

Mais amis ne sont pourtant pas si con. Bon, un peu pour certains, je dois bien l’admettre. Mais au point de ne pas reconnaitre une publicité aussi grossière ?

Prenez le temps.

Plus généralement :

Gardez en tête cette idée de rapport signal/bruit. Si vous essayez de couvrir le bruit ambiant, vous ne fait que rajouter du bruit supplémentaire. Un bon filtre, ça amplifie le signal et ignore le bruit. Soyez un bon filtre. Vous rendrez le web meilleurs.